
La légitimité des gouvernants n’est aujourd’hui plus acquise. Certes, les critiques à leur égard existent de longue date, dès la naissance-même du modèle parlementaire. Cependant, comme le démontrent les travaux de nombreux auteurs contemporains[1], les différents scandales mettant en cause des élus ainsi que les crises politiques à répétition ont contribué, ces dernières années, à un renforcement d’un syndrome de « fatigue démocratique » de la population[2]. Le mouvement des gilets jaunes, la récente crise sanitaire et les manifestations que sa gestion a entraînées sont des exemples parmi d’autres qui témoignent de l’amplification de ce phénomène[3].

Cette défiance à l’égard du monde politique a des répercussions à plusieurs niveaux : impopularité des dirigeants, montée des mouvances dites populistes ou démagogiques, importance du taux d’abstention aux élections, rejet des partis, etc. Elle se traduit aussi plus positivement par une demande de transparence et par davantage de sensibilité à l’éthique du comportement des responsables politiques.
La question de la confiance dans les institutions constitue dès lors un véritable enjeu de société. Elle représente aussi un objet d’étude particulièrement intéressant pour de nombreuses disciplines scientifiques, dont la science constitutionnelle, qui s’intéresse justement aux relations entre les gouvernants et les gouvernés.
Un projet de recherche entre trois universités belges
La rupture de confiance politique frappe toutes les démocraties représentatives et n’épargne donc pas l’État belge. C’est sur la base de ce constat que les Professeurs Frédéric Bouhon (ULiège), Mathias El Berhoumi (Université Saint-Louis-Bruxelles) et Céline Romainville (UCLouvain) ont décidé de s’associer pour monter un projet de recherche (PDR) ayant pour thématique l’analyse de la confiance dans les institutions publiques. Ils se sont par ailleurs entourés d’une équipe composée d’une doctorante, Léna Geron, qui sera rejointe par un(e) post-doctorant(e), et d’un comité comprenant des académiques spécialistes de diverses disciplines

Ce projet se décompose en trois volets. Le premier volet, qui formera le socle sur lequel reposeront les deux autres, sera dédié à la conceptualisation de la notion de confiance en droit constitutionnel. Pour accomplir cette tâche, les chercheurs devront s’ouvrir à d’autres domaines (sciences politiques, philosophie, sociologie, etc.). Le deuxième volet permettra d’étudier le rapport de confiance direct entre les gouvernés et ceux qu’ils élisent (la confiance envers le Parlement) et l’évolution de la conception du mandat parlementaire. Il s’agira notamment d’analyser les normes qui visent à garantir une plus grande moralité des parlementaires (incompatibilités entre le mandat parlementaire et l’exercice d’une autre fonction, limitation et publicité de leur rémunération, lutte contre l’absentéisme parlementaire, etc.) et à assurer une plus grande participation des citoyens dans le processus décisionnel. Enfin, le troisième volet se focalisera sur la notion de responsabilité politique et visera à examiner le rapport de confiance entre les parlementaires et le gouvernement, et par-là, indirectement, le lien entre gouvernés et gouvernement (la confiance du Parlement envers le Gouvernement). Plus précisément, il s’agira de rendre compte de la responsabilité ministérielle dans un système dit « particratique » où prédomine le pouvoir exécutif.
La suite ?
L’ensemble des travaux sera mené sur une période de quatre ans. Vu la thématique, l’équipe de recherche a eu à cœur de leur fournir une large publicité. Ce blog est, dans cet esprit, destiné à diffuser les résultats des recherches et sera fréquemment mis à jour. Il complète ainsi utilement les publications dans des revues scientifiques et les prochains colloques sur le sujet (le premier relatif à la confiance envers l’assemblée élue et le second concernant la confiance de l’assemblée élue). Le blog relaiera également les rencontres avec différents auteurs spécialistes de la thématique et les résultats d’une enquête auprès de la population belge sur la confiance dans ses élus.
[1] Voy. notamment : C. Morin, Le populisme au secours de la démocratie ?, Paris, Gallimard, 2021, 176 pages ; P. Rosanvallon, La Contre-démocratie. La politique à l’âge de la défiance, Paris, Seuil, 2006, 352 pages ; P. Rosanvallon, La légitimité démocratique. Impartialité, réflexivité, proximité, Paris, Seuil, 2008, 384 pages ; P. Rosanvallon, Le siècle du populisme. Histoire, théorie et critique, Paris, Seuil, 2020, 288 pages ; D. Van Reybrouck, Contre les élections, Arles, Actes Sud, 2013, 224 pages ; J. Werner Müller, Qu’est-ce que le populisme ? Définir enfin la menace, Paris, Premier parallèle, 2016, 200 pages.
[2] Voy. par exemple le récent sondage mené par la RTBF duquel il ressort notamment qu’un quart des participants souhaiteraient la fin de notre démocratie parlementaire (A. Touriel et Th. Gadisseux, « Sondage R.T.B.F. : un quart des Belges veulent la fin de notre démocratie parlementaire », R.T.B.F., 4 octobre 2021) et que 37,4 pour cent d’entre eux considèrent que le pouvoir devrait être concentré dans les mains d’un seul leader (H. Messoudi, « Les démocratico-sceptiques et la tentation d’un leader fort », R.T.B.F., 4 octobre 2021).
[3] F. Declercq, « Alain Eraly, sociologue : ‘‘La crise de légitimité est une crise de la démocratie’’ », Le Soir, 27 décembre 2021.