Activité

L’exemplarité des gouvernants – Université de Paris Panthéon-Assas

Le 10 janvier 2022, plusieurs membres de l’équipe du PDR Les institutions en quête de confiance (le Professeur Frédéric Bouhon ainsi que les doctorants Léna Geron, Andy Jousten et Xavier Miny du Centre de droit public de l’ULiège, la Professeure Céline Romainville, de l’UCLouvain) ont assisté au colloque organisé à l’Université de Paris Panthéon-Assas par les Professeurs Olivier Beaud (Université de Paris Panthéon-Assas), Éric Buge (Fellow de l’Institut Michel Villey, Secrétaire général du GEVIPAR), Cécile Guérin-Bargues (Université de Paris Panthéon-Assas) et CharlesÉdouard Sénac (Université de Bordeaux) et consacré à l’exemplarité des gouvernants. Ce billet propose un aperçu des travaux présentés lors de cette journée.

D’un point de vue juridique, la notion d’exemplarité se réfère en substance à l’ensemble des normes qui établissent des contrôles ou imposent des sanctions spécifiques aux responsables publics. Bien entendu, l’analyse de cette question, étroitement liée à celle du processus de moralisation des dirigeants, constitue l’un des objets d’étude privilégiés du projet de recherche sur la confiance.

Colloque « l’exemplarité des gouvernants » – Université de Paris Panthéon-Assas – 10 janvier 2022

Le programme a débuté par une étude de la notion-même d’exemplarité des gouvernants. Vincent Azoulay (EHESS) a ainsi ouvert la journée d’études en proposant un regard historique sur l’exemplarité des hommes politiques dans la Grèce antique. Il a, dans ce contexte, distingué deux périodes de l’Histoire. Au cours de la première, relativement « non-démocratique », le peuple est vu comme le miroir du chef. Deux conséquences découlent de cette perception : d’une part, la vertu du gouvernant rejaillit sur le peuple (vision top down) ; d’autre part, le peuple est également tenu pour responsable de la corruption des gouvernants (vision bottom up). La seconde période peut selon lui être qualifiée de « démocratique » dès lors qu’elle se caractérise par la mise en place de techniques de contrôle des gouvernants. Citant l’exemple du sort du stratège Cimon, Vincent Azoulay a, à cette occasion, observé que la vie privée des dirigeants est alors de plus en plus prise en compte pour justifier leur ostracisme, c’est-à-dire leur bannissement de la cité pour dix ans.

Opérant ensuite un bond de plusieurs centaines d’années, Mathilde Laporte (Université de Paris Panthéon-Assas) a examiné la notion d’exemplarité des dirigeants dans le monde anglo-saxon, en la comparant avec l’expérience française. Les États-Unis, précurseurs en la matière – les premières réglementations sous forme de soft law remontent déjà aux années 1960 -, sont, avec le Royaume-Uni, les premiers États à initier un rapprochement entre les intérêts privés et les intérêts publics des gouvernants. Dans son intervention, Mathilde Laporte souligne que la dynamique concernant la prise en compte des intérêts privés des dirigeants dans le monde anglo-saxon est différente de celle qui existe en France. Au Royaume-Uni, étant donné que l’intérêt public est davantage perçu comme la somme des intérêts individuels, l’accent est mis sur la nécessité de contrôler les intérêts privés des gouvernants afin de s’assurer de la légitimité de leur action. Dans le système américain, cette nécessité s’explique par le règne du soupçon permanent à l’égard des gouvernants. En revanche, en France, le conflit public-privé est dans un premier temps surmonté puisque la loi, fruit de la délibération des responsables politiques, est supposée véhiculer l’expression de la volonté générale, par-delà les intérêts individuels. Cela explique, selon Mathilde Laporte, les initiatives de déontologie politique plus tardives en France. Selon elle, le droit étranger n’a par ailleurs pas exercé directement un impact sur le développement de la déontologie française qui est plutôt née en réaction à des scandales nationaux. Elle relève également qu’aujourd’hui l’externalisation du contrôle politique est plus poussée en France avec la mise en place d’une Haute autorité pour la transparence, alors que dans le monde anglo-saxon le contrôle relève avant tout des assemblées elles-mêmes.

Éric Buge a quant à lui tenté de définir juridiquement l’exemplarité des gouvernants. Il remarque qu’il s’agit d’une notion chapeau sans véritable contenu normatif propre et qui est étudiée par d’autres disciplines comme la rhétorique et la morale. Il souligne également que l’exemplarité et la légalité ne se situent pas sur le même plan. Toutefois, malgré ce caractère « hors norme » de l’exemplarité, Éric Buge relève que cette notion est prise en compte, plus ou moins directement, par les juridictions nationales et internationales. Ainsi, le Conseil constitutionnel français admet qu’on impose davantage de contrôle à ceux qui détiennent plus de pouvoir. De même, la Cour de justice de l’Union européenne, se montre généralement plus sévère à l’égard d’un responsable politique que d’un individu qui n’a pas de charge publique.

À travers une analyse de la pensée de plusieurs philosophes du droit tels que John Locke et Alexis de Tocqueville, Lucien Jaume (Directeur de recherche émérite du CNRS), s’est ensuite demandé si l’exemplarité était une exigence démocratique ou aristocratique. La notion d’exemplarité, définie par Lucien Jaume comme ce qui est conforme à un type idéal, ce qui incarne la norme, se retrouve avant tout dans l’aristocratie. Il se demande si la démocratie, en tant que société qui sollicite sans cesse l’imitation, peut supporter l’idée d’exemplarité. Il en conclut que la recherche d’exemplarité nécessite une élite. Ensuite, Cécile Guérin-Bargues (Université de Paris Panthéon-Assas) s’est penchée sur l’analyse du contentieux de l’exemplarité des gouvernants. Elle relève que de nombreux juges français utilisent des références morales, imprégnées par ce qui se dégage de l’opinion publique, pour condamner des responsables politiques et se livrent par-là à une confusion entre le droit et la morale. Par ailleurs, dans la jurisprudence française, l’argument de l’exemplarité de la carrière d’un gouvernant peut motiver des décisions assorties de peines tantôt plus légères (dans le cadre de l’affaire Charles Pasqua), tantôt plus lourdes (dans le cadre de l’affaire Claude Guéant).

Après un premier temps axé sur la conceptualisation, la seconde partie du colloque était consacrée à la compréhension de l’exigence contemporaine d’exemplarité. À cet égard, Charles-Édouard Sénac (Université de Bordeaux) a examiné les liens entre l’exemplarité et la vie privée des gouvernants. Depuis plusieurs années, la révolution déontologique a fait rentrer la vie privée dans le champ du droit constitutionnel. Durant son intervention, il a choisi de relativiser certaines affirmations généralement entendues à propos des politiques d’exemplarité. Il s’est d’abord focalisé sur l’idée selon laquelle lesdites politiques contribueraient à dévoiler des éléments de la vie privée des gouvernants. À cet égard, il remarque que la publicité qui leur est demandée en France (déclaration de patrimoine, d’intérêts et d’activités) n’a pas comme conséquence directe la divulgation d’informations sensibles. Il poursuit en avançant que l’impact de la moralisation politique par le droit (édiction d’incompatibilités, interdiction des emplois familiaux, etc.) sur la vie privée des gouvernants est à ses yeux limité. Ce serait avant tout le poids d’une « morale non juridique » qui pèserait sur les dirigeants. Jérôme Couillerot (Université Lyon III Jean Moulin) a poursuivi la réflexion en interrogeant les rapports entre vie privée des gouvernants et transparence.

Enfin, les intervenants du dernier panel composé de Patrick Wachsmann (Université de Strasbourg et Déontologue de la Ville de Strasbourg), Christian Bidégaray (Université de Nice Sophia Antipolis) et Agnès Roblot-Troizier (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et Déontologue honoraire de l’Assemblée nationale) ont clos ce colloque en rendant compte des initiatives juridiques et pratiques ayant pour but de veiller à l’exemplarité des gouvernants. Leur bilan est mitigé. Patrick Wachsamm et Agnès Roblot-Troizier reconnaissent qu’ils sont relativement peu sollicités en tant que déontologues et remarquent que les élus ont un réel manque de connaissance des règles qui s’appliquent à eux. Christian Bidégaray s’est quant à lui montré sceptique face à l’efficacité des règles françaises de moralisation de la vie publique ainsi qu’à leur impact auprès des citoyens.

Nul doute que les expériences françaises et étrangères discutées lors de cette conférence riche en enseignements contribueront à nourrir les réflexions des membres de notre équipe !

Xavier Miny et Andy Jousten, ULiège